Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 mars 2010 4 04 /03 /mars /2010 16:07

Autopsie d'un exil algérien ou Lux beauté à la rose

Un récit paru aux éditions du Cygne, collection Traces, 2010 :

zalia_sekai.jpg  

La narratrice est une Parisienne.
Ses parents, arrivés de Kabylie dans les années 1960 et confrontés aux réalités de l’exil, l’imprègnent de leurs souffrances et humiliations. Une douleur physique inexpliquée par le corps médical la conduit à une errance dans les cabinets médicaux, plus froids les uns que les autres. Elle se souvient et revit la déchirure de ses parents immigrés, entre injustices et quêtes inassouvies. Comme si l’infirmité de leur exil s’était transmise. Inventée ou non, cette douleur est un langage pour entrevoir l’image du monde.





 
04

***
......................................................................................................................................................
Ma généalogie m’était insaisissable, presque étrangère. L’endogamie, les mariages consanguins apportaient leur lot de complications. La date d’un mariage ou d’une naissance pouvait varier d’un individu à l’autre. Car c’était les saisons, les lunes, les guerres, les famines, les enterrements, les mariages qui constituaient des points de repère, un calendrier événementiel à plus ou moins quelques jours, quelques mois voire quelques années. Les naissances pouvaient parfois être déclarées tardivement. Il arrivait même que le décès d’un enfant ne soit pas enregistré. La pauvreté et l’éloignement les tenaient isolés des administrations en ville. Et lorsqu’un an plus tard naissait un enfant du même sexe il remplaçait l’enfant défunt.
 
   Même à tenter d’écrire l’histoire, il m’était impossible de l’inscrire dans ma mémoire. Elle dépassait la petite unité familiale sclérosée de mes camarades et ressemblait davantage à une dynastie.
 
    Seulement quelques éclats d’une histoire dense. La famine de 1945 provoquée par l’invasion des criquets, et la croyance selon laquelle manger une poignée de criquets grillés les éloignerait...
    Des bribes ici et là jonchaient ma mémoire et entre chacun le vide inexplicable du non-dit et du secret. Ces vides et ces pleins me plongeaient dans l’insécurité. La frustration d’un devoir inaccompli, d’un ouvrage inachevé. Ce déficit de mémoire légitime ne permettait pas à mon corps et mon esprit de se reposer des incessantes interrogations. Leur histoire filait. L’héritage s’émiettait. En encadrant le portrait d’un grand-père paternel décédé en 1956, c’était, en y regardant de près, le portrait du colonisé et de l’immigré, leur histoire nationale que j’avais chevillé à l’entrée de l’appartement. Ce dessin, qui ressemblait à une photo à s’y méprendre, ne pouvait échapper à aucun regard. Parlez de moi semblait-il dire en fixant les visiteurs.
Une chose semblait certaine, leur passé ne pouvait s’apprendre. Il s’oubliait, il se perdait. Je me défendais d’oublier les petits restes, de faire prématurément mourir les miens. Chaque jour pourtant, je faisais vivre l’oubli et mourir les autres. Je ne lésinais par sur les moyens d’apprendre, recouper, situer, expliquer. Livres, entretiens. Peine perdue, je regardais ma mémoire. J’exigeais de moi de cultiver ma mémoire orale, peine perdue. Je courais de mes deux pieds, l’histoire de leur pays natal. J’appuyais plus fort sur la douleur en courant plus vite. De ces parents, je tentais de m’instruire en glanant. Je m’instruisais d’un départ et d’une attente sans arrivée.
..............................................................................................................................................................................................................
 
 

Pour commander l'ouvrage en ligne rendez-vous ici


 

Partager cet article
Repost0

commentaires